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 SMOTHER. (ambroise)

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MessageSujet: SMOTHER. (ambroise)   SMOTHER. (ambroise) EmptyMar 11 Avr - 13:16

smother
ambroise & stella

Tu sors de l'ascenseur, presque en sautillant. T'es heureuse, Stella, t'es heureuse. Ce matin, ton père a préparé le petit-déjeuné et pour une fois, ta mère n'était pas débordée. Vous avez mangé à trois et pendant ce court repas, vous sembliez heureux et normaux. Pas de bagarre de gang, pas de couronne de fleurs pour un décès à expédier. Juste maman, papa et Stella. C'est tout ce qu'il te faut, Stella, t'as pas besoin de beaucoup plus que ça. Alors tu débordes de joie, Stella et tu veux partager ce sentiment avec d'autres. Tu veux en donner un peu à tout le monde. Tu veux illuminer Détroit.

Depuis moins d'un an maintenant, tu rends visite à des patients de l'hôpital qui n'ont plus de proches ou juste personne pour venir les voir. Tu leur parles de tes répétitions de danse, tu parles du soleil qui revient sur Détroit. Tu parles des cours de danse que tu donnes parfois. T'évites par contre le sujet des nouvelles de la ville, c'est toujours sombre, toujours taché de sang, c'est pas beau à voir, pas beau à raconter. Tu préfères les trucs plus lumineux. Quand ta mère le veut bien, tu apportes des fleurs de sa boutique. C'est le cas aujourd'hui. Un bouquet de pivoines roses dans les mains, tu te diriges vers la chambre 416, le sourire aux lèvres. Tu frappes deux fois doucement avant d'ouvrir la porte. Ton sourire s'efface. Cette chambre est vide. Tu reviens sur tes pas pour vérifier le numéro de la chambre, mais c'est bel et bien celle-ci, il n'y a pas d'erreur. Tu te retournes, tu cherches quelqu'un qui puisse t'aider, te renseigner.

Tu te dis que peut-être ils l'ont changé de chambre. Tu te dis que peut-être, comme une idiote, tu t'es trompée d'étage. Y a ton cœur qui palpite, t'as un mauvais pressentiment, Stella. Ça sent pas bon, pas bon du tout. La vitesse de tes pas s'accélère et tu cours presque. Évidemment, y a personne à l'accueil. T'es peut-être joyeuse, Stella, mais le reste de Détroit ne l'est pas. A chaque fois, c'est un réveil un peu plus brutal. A chaque fois, tu sors d'un rêve mielleux pour te retrouver dans le cauchemar qu'est la réalité. Tu déglutis. Tu réfléchis deux secondes à ce que tu devrais faire. Tes foulées se font plus grandes, plus rapides. Tu te retrouves dans ce couloir trop blanc, éclairé de lumières trop blafardes. Une infirmière passe devant toi, elle a l'air pressée alors tu lui emboîtes le pas. « Excusez-moi, je cherche monsieur Richard Martin, est-ce qu- » Tu n'as pas le temps de finir ta question qu'elle t'interrompt pour te dire qu'elle n'a pas le temps pour ça maintenant. Tu insistes. « Sa chambre est vide, est-ce qu'il a changé de chambre ? » Elle accélère comme pour te semer et tu fais de même. Elle te regarde de haut en bas. Tu ne saurais interpréter ce regard, mais tu peux certainement sentir qu'il n'est pas très amical. Elle s'arrête soudainement. Tellement soudainement que tu as failli te prendre un lit qui trainait dans le couloir. Elle soupire, regarde le sol avant de relever les yeux vers toi. C'est comme si elle savait que la tension montait et qu'elle faisait exprès de te faire attendre pour une réponse. « Les gens vont et viennent à Détroit. Surtout maintenant. Son lit a été enlevé ce matin. » Tu fronces les sourcils. T'es pas certaine de comprendre. Tu ouvres la bouche pour demander des explications, mais elle a déjà repris sa marche et te dit au loin qu'elle est occupée. Tu refermes la bouche, la confusion installée sur ton visage.

Puis la nouvelle te percute. Tu comprends. T'es stupide, Stella, pour ne pas comprendre ce genre de chose directement. T'es stupide, bête, idiote et surtout tellement naïve, Stella. T'as pas compris quand monsieur Martin t'a dit que la prochaine fois, il ne te verrait pas. Tu as ri en lui assurant que si, tu reviendrais la semaine prochaine, comme toujours. Idiote, idiote, idiote. C'est presque comme si tu le faisais exprès, Stella, d'être aussi bête. Il t'avait simplement souri, comme il le faisait toujours. Tes jambes lâchent un peu prise. Tu te rattrapes sur le lit qui se trouve à côté de toi. Merde, Stella. T'as pas compris. Tu comprends jamais rien. T'as merdé. Vraiment, tu l'as laissé seul. Vous ne parliez jamais de sa maladie, il ne voulait pas, il disait que c'était une perte de temps donc tu ne sais même pas vraiment de quoi il était atteint. Tu restes là, seule dans le couloir, à fixer le vide. Tu repenses à la dernière fois, t'étais pas restée longtemps. T'étais en retard pour ton cours de danse alors t'es à peine restée un quart d'heure en promettant d'être là, cette semaine-ci. Si t'avais su ...

Ta respiration se fait saccadée. Les larmes te montent aux yeux. Tu suffoques, Stella, t'es pas bien là, enfermée entre tous ces murs. T'es pas bien à rester là, t'as besoin d'air. T'as besoin de sortir d'ici, d'être loin. Tu supportes plus être là, pas maintenant. Tu te redresses, ton poing serré sur le bouquet, tu te mets à courir vers les ascenseurs. T'appuies sur le bouton comme une furie, une dizaine de fois au moins. Comme si appuyer de manière répétée allait faire venir la boite métallique plus vite. Tu vois les chiffres qui défilent sur l'écran, les étages qui descendent, mais c'est trop lent et toi, t'étouffes, Stella. T'en peux plus. Tu regardes à gauche, à droite. Tu cherches un autre échappatoire. Y a le signe qui désigne la cage d'escalier et tu pousses la porte sans vraiment réfléchir, même si t'as cinq étages à dévaler. Des rivières se sont mises à couler le long de tes joues. Pourquoi ? Pourquoi ça doit arriver comme ça ? Pourquoi ça doit faire aussi mal ? T'as failli te tordre la cheville en dégringolant des escaliers quatre à quatre. Tu t'es rattrapée sur le mur sans pour autant t'arrêter dans ta course. Tu manques d'air, Stella. Tu sais plus respirer. Tu fais des bruits presque inhumain. Tu tentes de respirer par la bouche, mais c'est toujours pas assez d'air. Il t'en faut plus, beaucoup plus.

Tu pousses la porte qui te mène au couloir de l'entrée principale. La dernière ligne droite, tu cours. Tu cours comme si ta vie en dépendait et quand on y pense, c'est presque le cas. Tu franchis les portes de l'entrée principale de l'hôpital et tu te cales sur un mur à gauche. Tu suffoques. Tes mains tremblent. Tu les plaques sur tes yeux pour essayer de ne plus voir le monde, ne pas voir certains regards interrogatifs. Il est parti, Stella. C'est la première fois de ta vie que tu perds quelqu'un que tu connaissais. T'étais pas préparée. T'es toujours pas préparée à la violence de ce monde, putain.

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Ambroise Marshall
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MessageSujet: Re: SMOTHER. (ambroise)   SMOTHER. (ambroise) EmptyMar 11 Avr - 14:21

La nuit avait été longue, chargée, compliquée, cruelle. Parfois les urgences restaient relativement calmes, on n’y amenait alors que quelques ivrognes ramassés avec trois ou quatre grammes d’alcool dans le sang pour qu’ils vomissent leurs tripes ailleurs que sur le trottoir ; des petits accidents de rien du tout suite à une bagarre de rue ; et c’était tout. Parfois, comme si finalement les sombres habitants de Détroit se faisaient passer le mot tout particulièrement à une date bien précise, s’enchainaient les accidents de la voie publique ; les blessés par balles ; les brûlés pour une raison ou une autre ; les arrêts ; les décompensations diverses et variées ; des tarés ou d’autres ; et encore plus d’ivrognes qui défilaient. La nuit avait donc été passée avec ce genre de patients-là. La nuit, terrible source d’angoisses qu’elle était, les patients refusaient de se laisser faire, d’écouter – ils avaient bu, fumé Dieu sait quoi, souffraient, bref : n’écoutaient rien.

C’est seulement au petit matin qu’Ambroise s’autorisa à souffler. La nuit avait donc été particulièrement difficile, et blanche qui plus est. Ils avaient comme toujours été trop peu de personnel pour s’autoriser une pause, à fermer l’œil le temps de récupérer en une mini-sieste.
A force, il avait l’habitude…
Et malgré tout, il aimait son job, et plus que tout au monde. Les collègues démissionnaient pour le privé, lui continuait d’être passionné. Un peu timbré peut-être, un peu naïf sans doute, mais passionné.

Toutefois était-il que ce matin-là, il décida qu’une pause, enfin, était tolérable. Blouse blanche encore sur le dos, cousue d'un petit "Dr. A. MARSHALL", changée dans la nuit parce qu’il avait mal esquivé le vomi d’un patient ; stéthoscope laissé autour du cou par pure habitude ; des stylos et bloc-notes plein le fond des poches. D’une autre poche, il tira une cigarette, elle se retrouva coincée rapidement entre les lèvres. Fit craquer sa nuque enraidie par la nuit. Il ne fumait pas, pas vraiment, pas complètement… Seulement pour souffler après les nuits et journées enchainées sans relâche, particulièrement difficile.

Le hall principal, un « bonjour » poli au personnel administratif (c’était l’avantage de la blouse blanche, généralement on vous répondait tout aussi poliment), le tout premier couloir, la porte, et enfin ! l’air frais du matin, le Soleil qui se levait tout juste, paresseux ; et la bise mordante sur le visage. Il eut un long soupir, dégaina son briquet.
Et se retrouva coupé avant d’allumer quoi que ce soit.

Sur sa gauche, des sanglots déchirants.
D’abord un peu gêné, il estima que ça ne le regardait pas, qu’il allait partir fumer sa clope plus loin ; il crut ensuite reconnaitre la tête blonde appuyée contre un mur, le corps agité de sursauts sous le poids de la respiration difficile. Il y avait cette fille qui ne travaillait pas à l’hôpital, mais venait plus que régulièrement en tant que bénévole. Il ne la connaissait que de vue, elle était particulièrement jeune, s’occupait des personnes âgées, seules – là où eux, médecins, manquaient de temps.
Hésitant un instant, Ambroise remballa son briquet dans une poche, coinça la cigarette derrière son oreille droite : plus tard.

Intervenir, ne pas intervenir ?
Et si c’était quelqu’un de sa famille, qu’elle avait perdu ?
C’était une gamine encore, est-ce qu’elle avait plutôt perdu ses illusions, ou… Quelque chose comme ça ?
Rappelons que lui, derrière ses airs un peu bougons, grognons, pas franchement expressifs ; avait un cœur qui s’emballait rapidement pour qui en avait besoin, là, sous ses yeux, tout le temps. D’où les heures supplémentaires jamais comptées, jamais regrettées, jamais refusées.

Alors il fit quelques pas vers la demoiselle ; le corps courbé, qui ne l’avait sûrement ni vu, ni entendu. Il hésita cette fois sur les mots à choisir, leur poids, parce qu’il n’allait pas juste lui proposer un mouchoir en tissu et se tirer fumer tranquillement, ou lui dire d’arrêter de pleurer comme une madeleine et point barre.

Elle était limite assise par terre, alors lui s’accroupit juste devant. Avec sa tête de déterré qui n’avait pas fermé l’œil de la nuit. « Hey, une main sur l’épaule, pas intrusive, non, juste de quoi conserver la distance avec elle qui n’était finalement qu’une parfaite inconnue, juste ce qu’il fallait de chaleur humaine même dans le froid glacial de l’environnement de l’hôpital ; tout doucement ; très calmement ; pour ne pas la brusquer. Sa voix était posée et douce, elle aussi. Je te vois souvent dans les couloirs. C’est bien, ce que tu fais. » Une pause. Un sourire, malgré la nuit blanche et horrible, parce qu’aujourd’hui était un autre jour. Un sourire avec un peu de chaleur humaine, véritable et véridique. « Et je sais pas pourquoi tu pleures, mais crois-moi, il n’y a rien qui vaille la peine de pulvériser ta bonne humeur à ce point. »
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MessageSujet: Re: SMOTHER. (ambroise)   SMOTHER. (ambroise) EmptyMar 11 Avr - 20:33

Tu sais pas pourquoi Détroit elle ressemble à ça de nos jours. Tu sais pas pourquoi les morts s'accumulent les unes après les autres. Tu sais pas pourquoi Détroit à l'air d'un souvenir plutôt que d'une vraie ville. Ça te brise le cœur de pas pouvoir agir. Il y a les Merry Men, tu le sais, mais tu n'es pas trop sûre de ce que tu pourrais leur apporter. Sachant qu'ils se cachent tous derrière un masque, sachant que, d'après ce que tu as entendu en ville, ils utilisent des surnoms, tu ne sais pas où aller les chercher. Et pire que tout, Stella, ça ferait de toi une ennemie directe de Seth. De l'autre côté, il y a les Lost Children, tu pourrais demander à Seth de t'y intégrer d'une manière ou d'une autre, mais tu sais que c'est pas ton monde et puis, il ne refuserait sans doute en bloc. Alors t'es là, Stella, dans une ville qui tombe en ruine, avec un nombre d'habitants qui descend jour après jour et t'es juste ... impuissante. Tu sais que tu n'aurais pas pu sauver monsieur Martin, mais tu aurais pu être avec lui jusqu'au bout, lui tenir la main, lui dire que tout irait bien et qu'il pouvait compter sur les étoiles pour veiller sur lui. Sauf que t'étais pas là, Stella. Du peu que tu pouvais aider, t'étais pas là ...

Une voix, une main. Tu sursautes. T'avais pas entendu qu'on s'était approché de toi. T'avais pas senti de présence, trop absorbée par ton mal-être du moment. Tu éloignes tes mains de ton visage pour voir celui de ton interlocuteur. A travers le filet de tes larmes, tu distingues un visage qui a l'air vaguement familier. Sa blouse blanche t'indique qu'il fait partie du personnel de l'hôpital. Tu te calmes une seconde, mais la phrase qui sort de sa bouche juste après te fait redoubler tes pleurs. C'est peut-être bien, mais c'est pas assez. C'est pas assez et c'est jamais assez. Tu te dis que si tu avais su, peut-être que tu aurais fait médecine, peut-être que tu serais rentrée dans les forces de l'ordre, peut-être que ... ton esprit cherche mille et une solutions alternatives quand tu sais que c'est trop tard, Stella. T'es une danseuse, toi. Tu peux vendre du rêve aux autres, tu peux leur faire oublier dans quel monde on vit, tu peux les transporter dans un autre univers pendant quelques instants, mais tu peux pas sauver des vies. T'es juste une danseuse, Stella.

« J'-J'étais pas l-l-là ! » Entre deux sanglots, t'arrives à articuler quelques mots, presque hurlés. A bout de nerf, tu lâches tout sur cet homme qui n'a rien demandé. T'arrives pas à contenir tes respirations saccadées, t'arrives pas à reprendre un rythme normal. T'es secouée. Ravagée de la tête aux pieds, en entière. Y a un tsunami à l'intérieur de toi, Stella et il reste plus grand chose, que des débris de cœur éparpillé un peu partout. D'un revers de la manche, t'essuies tes larmes et ton nez qui coule. T'es pas classe, t'es dégueulasse, mais tu t'en fous. T'as pas le temps d'être belle tout le temps. T'as pas le temps d'avoir l'air forte quand en vérité, la vue du sang te fait trembler. « Et, et, et main-te-tenant il est pa-parti. » Ton cœur s'emballe encore une fois. T'as besoin d'un pause pour pleurer un océan. T'as besoin d'une pause, que le monde s'arrête de tourner aussi vite. T'es pas encore ajustée à la cadence des événements du moment. C'était pas quelqu'un de ta famille, Stella. C'était pas quelqu'un que tu connaissais vraiment bien, mais t'étais la seule personne qu'il lui restait et t'as pas pu être là. T'as l'impression d'avoir raté. T'as l'impression d'avoir merdé. Tu te sens tellement mal, tellement coupable. Tu savais pourtant que ça arriverait un jour et clairement, il le savait aussi. Tu repoussais cette idée dans un coin sombre de ton esprit, en imaginant que peut-être avec un peu de chance, elle disparaîtrait. « Je-j'aurai d-d-du être là ! J'aurai du être là ! Et maintenant, il ... » Ta voix s'éteint.

Tes yeux tombent sur le bouquet qu'apparemment tu as laissé tomber au sol, à côté de tes pieds. Tu le ramasses pour regarder les pétales malmenés. Ils se sont cognés aux murs comme des épaules, ils ont été balancé de gauche à droite sans relâche durant ta course vers un peu d'air. Elles étaient pour lui, ces quelques fleurs pour te faire pardonner de la semaine précédente. Elles étaient pour lui. Voilà que maintenant, même dire son nom est difficile. Comme s'il te brûlait les lèvres, comme si ta gorge se nouait rien qu'à l'idée de ces deux syllabes. Tu fronces les sourcils en les regardant. Tu te lèves d'un bond et tu les jettes au loin, aussi loin que tu peux, aussi fort que tu peux. Un mélange de tristesse et de haine, un goût amer dans la bouche. Tu restes là, à regarder la trajectoire que le bouquet a pris. Tu ne sais pas quoi dire à cet inconnu qui essaie de te rassurer. Tu ne sais pas quoi te dire pour te rassurer. C'est fini, Stella, y a plus rien à faire. Game over.
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Ambroise Marshall
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MessageSujet: Re: SMOTHER. (ambroise)   SMOTHER. (ambroise) EmptyJeu 13 Avr - 23:52

Que dire face à une inconnue dans un moment de vulnérabilité pareil ? Une fois de plus, elle n’était qu’une gamine… Majeure probablement, mais l’un n’empêchait pas l’autre. Une gamine bercée d’illusions sans doute, et ça faisait presque drôle : par les temps qui couraient, il voyait des gosses stones, blessés, lobotomisés, violents, marginaux, coincés, programmés, déchirés, pigés, alcoolisés, sacrifiés. Mais pas la tête bourrée de rêves.

Lui, le crâne tout plein de rêves, croyances ou illusions, il l’avait eu longtemps. L’avait toujours un peu, en fait. Continuait d’avoir ce sentiment de révolte tout au fond du ventre, à la fois bien enfoui mais réel, face à tout un tas de choses : la vie gâchée, la vie meurtrie, les yeux des gamins qui devraient pétiller plutôt qu’être injectés de sang. Mais avec la maturité des années en plus. Le poids des années tout court, aussi. La capacité à relativiser. A rester calme. S’adapter rapidement, mais toujours très calmement.

Aussi restait-il très calme face à elle, sanglotante. Elle lui faisait mal quelque part dans la poitrine – quelque chose qui faisait qu’il ne sentait plus franchement ni le poids de la nuit pourtant blanche, ni l’envie de profiter de la fraicheur et du silence de la matinée encore naissante, ni l’attirance pour la cigarette sortie quelques instants plus tôt.

Mais lui n’avait jamais été bon pour trouver les mots, réconforter les âmes. Il soignait les corps, réparait des organismes comme un mécanicien, plombier ou électricien, mais pas ce qu’il y avait à l’intérieur vraiment. Toutefois sentait-il ces choses, ces trucs qui se passaient à l’intérieur ; et son intérieur à lui lui ordonnait de ne pas laisser cette gamine repartir en miettes.


Il avait reposé sa main et rompu le contact physique, essayé de capter son regard (en vain jusqu’alors), elle s’était levée, et de colère, avait envoyé valser un bouquet déjà malmené.
Pas besoin de connaître l’histoire : de toute évidence, cette gamine, elle qui donnait de son temps pour les personnes laissées seules malgré la route qui touchait à sa fin, venait de connaître sa première désillusion. Le goût terrible du « trop tard ».

Peut-être en un sens, là, en cet instant, se retrouvait-il dix ans en arrière. La rage au ventre de ne pas être arrivé une minute plus temps. De ne pas avoir été là pile à temps. Le désespoir de ces foutus « trop tard ». La vie, et pas la sienne, qui lui filait entre les doigts. Lui avait filé trop souvent entre les doigts.
Il avait grandi, depuis… Des « et si ? » toujours encrés au fond des pensées.
Mais il avait grandi, plutôt que de se faire dévorer.

A son tour, Ambroise se releva, un regard un peu triste vers les pétales détachés qui virevoltaient encore un instant avant de venir mourir sur le gazon.

« Je me répète, mais quoi que tu dises, quoi que tu penses, c’est bien ce que tu fais. On a besoin de gens comme toi. » La voix douce. Vraiment compréhensive. La respiration calme. Un regard vers elle pour s’assurer qu’il pouvait capter son attention à travers l’ouragan intérieur. « Qui s’occupent et se préoccupent des vivants. Moi je fais de mon mieux pour réparer le vivant. Sans doute que ça n’est pas tout à fait pareil… Mais je sais, je connais, je comprends combien tu peux t’en vouloir. La colère envers toi-même et puis l’envie de tout envoyer valser. » Une nouvelle tentative de capter son regard.

« Si tu me le permettais, j’aimerais bien te raconter deux ou trois choses. Tu veux marcher un peu ? »
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MessageSujet: Re: SMOTHER. (ambroise)   SMOTHER. (ambroise) EmptyLun 17 Avr - 20:32

La respiration lourde, tu regardes toujours en direction vers laquelle le bouquet est parti. t'es en colère, Stella. Tu ne sais pas vraiment pourquoi t'as fait ça. Tu sais que ça ne changera rien aux faits. Tu sais qu'il est parti et qu'il est trop tard pour faire quoi que ça soit. C'était juste que ... t'en avais besoin. T'avais ce besoin intense de relâcher la pression un coup. T'as besoin de hurler. Hurler sur le monde, hurler pour rien dire. Juste ... Crier à t'en arracher les poumons, faire sortir cet air pour lequel tu as tellement suffoqué. T'en veux au monde, t'en veux à tes parents. Personne ne t'a préparé à ces phases de la vie qui, au final, sont les mêmes pour tout le monde. Tu savais que ça arriverait à un moment où à un autre, que ça soit tes parents, un ami ou quelqu'un d'autre. L'infirmière avait raison, les gens tombent comme des mouches, en particulier à Détroit.

Tu tentes, aussi bien que tu le peux, de masquer la vérité. Tu te mens à toi-même, Stella. Tu sais. Tu sais ce qu'il se passe à Détroit. Evidemment que tu sais, tu y vis. Et pire que tout, tu fréquences une des personnes qui ôte toutes ces vies. Mais cette information-là, comme toutes les autres, tu les refoules dans le coin sombre de ton esprit et tu tentes de les oublier. Tu voudrais refaire le monde, tu voudrais apporter de la lumière à tous. Mais t'es rien, ni personne. T'es pas assez, pas suffisante, pas assez puissante. T'es pas l'étoile que tu penses être, Stella, tu n'illumines pas comme la lune le fait pendant la nuit. Tu soupires. Le docteur reprend la paroles. Il t'assure que ce que tu fais est bien. Tu laisses échapper un petit rire moqueur. Tu le sais que c'est bien, c'est pour ça que tu le fais. Sauf que tu pourrais faire bien plus et tu le sais.

Il s'enfonce le doc en insistant sur le mot vivant. Ton cœur se serre. C'est trop tôt. Tu penses à ce vieil homme qui, lui aussi, était vivant, il a quelques heures encore. Il te racontait les histoires de son époque où le lait était livré dans des petites bouteilles en verre, où les enfants jouaient avec presque rien. Ça te faisait sourire, t'avais l'impression que c'était plus simple sans smartphone pour nous éloigner de la réalité. Il te dit qu'il te comprend. Tu ne sais pas vraiment comment le prendre. Il a du en voir pas mal, des morts, durant son service. Il doit comprendre, vraiment. T'as pas envie de lui hurler dessus, sur cet homme qui essaie juste de te réconforter, mais t'as cette boule qui te pèse sur l'estomac, cette boule qui te donne envie de rendre tes tripes et tout ce que tu as pu manger au petit déjeuné. Tu essaies tes larmes d'un revers de la manche avant d'oser lui accorder un regard, rapide, quelques micro-secondes, à peine. Puis tu tournes la tête. Maintenant que la vague de colère s'est abattue sur la digue, tu te rends compte à quel point, la situation est embarrassante.

Tu regardes tes pieds comme une enfant, en jouant avec un caillou du bout de ta basket blanche. T'aurais du rentrer chez toi, dire à tout le monde que ça allait bien et te cloîtrer dans ta chambre pendant quelques jours, histoire de faire passer la pilule. Tu te demandes comment ils font, tous, les habitants de cette ville, pour faire comme si rien ne les atteignait. Des robots, stoïques, qui prennent la vie comme elle vient. Et toi, tu te fais renversée par la marée, Stella. Tu sais pas nager. Tu perds pied. T'oses relever les yeux vers l'homme en blouse blanche pour acquiescer d'un hochement de la tête. Tu commences à marcher sans savoir vraiment où il veut aller. T'attends qu'il t'emboîte le pas pour le suivre. Tu renifles toujours aussi peu délicatement, ta respiration est toujours saccadée. Tu reprends doucement tes esprits après le premier choc. Ça va mieux, tu crois, même si tu te doutes que les choses à venir ne risque pas d'être jolie à voir ou à entendre.
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