OH, CRYBABY (ECHO)

dix-huit heure. l'heure à laquelle l'soleil commence déjà à crever derrière la grisaille. le vent frais qui frôle sa peau. pourtant il n'fait pas froid, pas comme à oslo. les souvenirs lointain qui font déferler une vague nostalgie. noora sert les dents. elle est venue pour ses frères. pour s'éloigner d'la tombe de ses parents, surtout. nouvelle vie, hein. ou bien la fin d'la sienne,
ici, dans l'trou de l'enfer. elle descend une rue. qu'elle ne connait pas. car évidemment elle s'est trompé d'chemin. elle soupire, la gamine. irrité. par cette ville éclatée. par les gens abimés. presque autant que les pavés. ça parle de sang, ici. de meurtres. de viols. de règlement d'comptes. mais pour noora, c'pas vrai, hein ? légende urbaine mon cul, évidemment.
l'soleil achève lentement son agonie. la lumière décline. elle est crispée, la norvégienne. un poing serré. les doigts dl'autre main autour de son smartphone.
elle cherche sa route. tant bien que mal. mal surtout. car les rats commencent à sortir de l'ombre. les regards tombent. sur sa jupe en jean. long frisson qui remonte le long de sa colonne. oh, pauvre brebis. balancée dans la cage aux loups. l'arène sale. les rues dévergondées. là où catins côtoient tueurs.
prise au piège. perdue, jolie fleur.
elle marche plus vite, désormais. elle ne panique pas vraiment. pas encore. pas totalement.
son corps frêle qui fini par heurter un autre. une autre carcasse perdue ? ou celle qui vient la cueillir, comme un fruit mûr ?
son téléphone qui s'écrase au sol. le souffle court. les joues rosées. mais qu'est ce qu'elle fait ici ?
elle recule, un pas. deux, sous l'impact. les cheveux devant les yeux, elle finit par le distinguer, le prédateur de sortie.
il n'est pas très vieux. pas si grand. mais y'a pourtant, dans ces yeux, cette lueur.
celle que beaucoup portent, ici. cette lueur qui fait hérisser quelques uns de ses cheveux. cette lueur qui ravive une partie de son instinct de proie.
pardon... je me suis perdue, je regardais pas devant moi.
elle hésite, avec cet anglais qu'elle maitrise mal. cet accent qu'elle tente de masquer. cette crainte sous jacente. cette naïveté affolante.
pauvre petite.

Perdue dans la ville, la belle,
et toi, vautour au milieu des cadavres, tu tournes au dessus des toits.
Tu l'avais repérée. De loin, le pas hésitant, la chevelure candide animée par un vent de soufre. La ville pourrie, bitume désertique, les mecs au regard chacals. T'étais pas une nana et pourtant, tu connaissais. La manie de se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Mais les mecs, c'est des loups. Ils sentent la peur, et montrent les crocs. La gamine, elle avait cet air de funambule pas très certain, tête basse même si on lui disait de pas regarder en bas, le pas rapide et paniqué comme pour fuir le possible danger. Tu sais que dans les rues de Detroit, on est jamais à l'abri. Quand on est une jolie poupée, c'est pire.
Et tu savais qui elle était.
T'as mené ta petite enquête, toi qui fais partie des murs des ruelles les plus louches. Toi qui connaît les secrets noirs de tes ennemis. Les Pettersen, putain de vikings, qui pensaient faire la loi, t'aimerais qu'ils retournent sur leur île. Et pour ça, il fallait que tu les atteignes. T'avais su que la cadette se ramenait en ville. C'était presque trop facile.
Démarche sûre et avenante dans la jungle des crocs. Tu la bouscules, et tu souris. Carnassier bandit.

"C'est moi, j'aurais du faire attention."

C'était l'instant rêvé pour qu'un mec la siffle et lui lance deux-trois paroles obscènes. Le bras ramené contre l'épaule de la fille comme pour la protéger.

"Oh connard, c'est à ta mère que j'fais des trucs du genre !"

Le regard protecteur, l'offre de la tirer loin de la jungle. T'aimais pas les damoiselles en détresse. Encore plus si t'avais quelque chose à y gagner.

"Viens, faut bouger, c'est pas bon de rester ici toute seule."

elle est frêle, l'enfant. elle frémit, sous les quelques regards des passants. des carnassiers. des meurtriers. elle ignore tout. de tout le monde. de ce qui se trame, dans les rues sombres de la ville. quelles atrocités font vibrer le pavé grisâtre. elle ne sait rien de tout ça, petite naïve.
gamine balancée dans la jungle. piégée. perdue. l'chemin qu'elle n'est pas prête de retrouver, évidemment.
encore moins avec le prédateur qui se dresse face à elle. elle balbutie quelques mots. comme elle peut. s'excuse, un peu faible. à demi-rassurée. elle accorde sa confiance si facilement, la brebis.
c'est si simple pour lui.
son téléphone qu'elle ramasse. un vautour qui passe, matte son cul, probablement. le sifflement aigu qui surprend ses oreilles. elle s'retourne. les joues rouges. mais qu'est ce qu'elle pourrait dire ? faire ? rien, parce que y'a déjà ses mains qui tremblent un peu.
puis l'inconnu qui la défend. gentiment ? ouais bien sûr. bourré de bonnes intentions. sa paume contre son épaule, rassurante, hein ?
elle s'pose pas de questions noora. elle refuse pas le contact, bien sur qu'non.
il est gentil, après tout. petit sourire sur le coin de ses lèvres quand ses prunelles se heurtent aux siennes. elle rougit, juste un peu. gamine candide.
merci pour..
elle sait pas comment finir. alors elle baisse l'regard sur ses pieds.
jonas il l'intimidait pas, comme ça. jonas il était doux. et en norvège y'avais pas ces gars-là. personne lui a jamais parlé comme ça, à noora.
alors elle est paumée. elle l'suit, l'inconnu. forcément.
elle marche proche de lui. parce que désormais, c'est la nuit qui est tombée. le voile noir qui recouvre les visages et masque les crimes.
mais peut être bien qu'elle se détend un peu, noora. ses muscles moins crispés, tout ça.
plus d'raison d'avoir peur, hein ?
j'me suis perdue, je viens juste d'arriver je connais pas vraiment la ville encore.
elle tourne la tête. s'y noit, dans ses iris protectrices. elle frémit, sourit. ce joli sourire, celui qui réchauffe parfois les âmes et adouci la nuit.
elle s'rend compte de rien, noora. c'est mignon.
c'est comme ça qu'elle finira par l'regretter, la gamine.