01. Elle était belle, Agnès Prevost. Passionnément. Dramatiquement. Une fée égarée dans la jungle hostile qu'est Détroit, le pantin d'un immonde gangster qui la dompta avec une aisance enfantine. De belles paroles, un idéal commun, la gamine se laisse bercer d'illusions et s'embourbe dans cet univers malsain, dilapide l'intégralité de son héritage dans des jeux d'argent. Jusqu'au jour où elle donne naissance à un petit garçon entre deux poubelles au détour d'une rue malfamée. Aucun foutu souvenir de l'identité du père, mais elle se promet tout de même de ne plus jamais recommencer ses bêtises, pour le bien de son enfant. Dix ans plus tard, elle meurt d'une balle qu'elle se tire elle-même dans la tempe lors d'une stupide partie de roulette russe, sous les yeux de son fils. L'abandonnant à la gangrène, à la pourriture de ce monde, seul.
02. Son bienfaiteur, un gangster du quartier qui le recueille quelques semaines après la mort de sa génitrice, dans son immense mansuétude. Raphaël a toujours baigné dans le milieu de la criminalité, difficile de l'imaginer emprunter un chemin différent de celui tout tracé devant lui. Le crâne bourré de rêves naïfs, alimentés par la fausse bienveillance de ce père adoptif qui ne cherche qu'à s'en faire un larbin de plus. Il fait passer sa sévérité et sa distance pour de l'affection, cela semble sincère aux yeux innocent d'un gamin qui n'a rien. Peut-être qu'il le sait, dans le fond. Mais il ne peut se défaire de ce besoin d'avoir une figure paternelle à idéaliser, un modèle à suivre aveuglément.
03. Les premiers signes de rébellion apparaissent en même temps que cette bande de gamins bruyants qui errent dans les rues toute la sainte journée et imposent leur loi aux plus faibles. Il suffit d'une banale provocation envoyée en l'air,
hé toi le fils de putain, pour que le coup de poing dans le nez parte tout seul comme un boulet de canon. Il en a déclenché des bagarres, il en a chopé des cocards, jusqu'à ce qu'il finisse par se faire respecter et être considéré comme un des leurs, sans trop savoir comment ni pourquoi. Des copains tous issus d'un milieu défavorisé, tous dans la même misère, soudés face à la noirceur de cet univers. Il les a aimés comme des frères, ces petits gars avec qui il a fait les quatre cent coups, joué au football en bas de l'immeuble tous les soirs comme un rituel. Et cassé quelques vitres dans le voisinage avec le ballon.
04. La vie est simple fiston, tu suis les règles et tu fais ce qu'on te dit de faire. Jusqu'à ce que tu sois assez grand pour établir toi-même tes propres règles. Le chef énonce les faits avec un tel calme, le cigare fumant coincé entre ses dents en or, pendant qu'il compte méticuleusement les billets. Le jeune homme avale ses paroles et il observe, attentif, les gestes qui se répètent comme un métronome. Des liasses et des liasses entassées sur la table, l'argent de la drogue qu'il fait circuler dans le quartier. Un trafic peu scrupuleux auquel Raphaël participe déjà, à l'âge de quinze ans seulement, sous la bénédiction de son tuteur qui se réjouit d'avoir dressé le gamin comme il faut.
05. Un criminel, une belle ordure, voilà ce qu'il est devenu en suivant stupidement les traces de cet homme qui l'a transformé en monstre. Ses pupilles vacillantes s'accrochent au cadavre qui gît devant ses yeux, ses mains tremblantes lâchent négligemment le fusil à pompe sur le sol. Une sombre histoire de mensonge, de trahison, qui l'a conduit à devoir faire un choix entre mourir, et tuer. Abattre de sang froid cet homme qui lui a offert un toit et l'a élevé. Le même homme qui a cherché à se débarrasser subtilement de Raphaël lorsque ce dernier a commencé à lui faire de l'ombre. Désorienté, il perd les pédales. Il sait qu'il est allé trop loin, qu'il ne pourra plus faire marche arrière maintenant que le coup de feu est parti. La machine est lancée, son avenir tout tracé.
06. Le cœur de glace, ébranlé par l'égoïsme d'Agnès ancré dans sa mémoire, est incapable de s'ouvrir à qui que ce soit. Le jeune garçon est devenu un homme et a grandi avec la conviction immuable que les femmes sont perfides et foncièrement hypocrites. Il les accueille dans ses bras et leur offre une épaule réconfortante lorsqu'elles en ont besoin, comme un vrai gentleman. Le chevalier servant se laisse enivrer par la douceur féminine, tout en se fixant des limites bien définies. Il ne leur fait pas confiance, à toutes ces princesses, il sait qu'elles finiront un jour par le trahir comme sa mère l'a fait il y a vingt-cinq ans.
07. Un Colt Python, l'arme redoutable qu'il a appris à manier parfaitement au fil des années, aussi efficace pour tirer avec précision que filer des coups de crosse bien sentis dans la caboche. Le même modèle que le revolver que sa mère a braqué dangereusement sur sa tempe, identique à celui avec lequel elle s'est tué. Pour ne pas oublier le point de départ de l'enchaînement de désastres qui a rythmé sa vie, probablement. Animé par l'instinct sauvage qui rugit en lui et lui dicte d'arracher autant d'âmes que toutes celles qui ont tourmenté sa pauvre mère,
établir ses propres règles avec la menace virulente du canon de son flingue.
08. Il parle couramment la langue de Molière, même s'il n'a jamais mis les pieds en France. Il n'a jamais connu le pays d'où vient sa famille, et pour ne pas qu'il oublie ses racines, sa mère a mis un point d'honneur à lui apprendre à parler le français dès qu'il fut capable d'articuler deux mots à la suite. Le seul héritage qu'il lui reste de sa famille, peut-être la seule chose que l'effrontée a fait de bien pour son fils. Il lui arrive régulièrement de laisser échapper quelques jurons en français lorsqu'il est contrarié, qu'importe l'incompréhension de ses interlocuteurs.
09. Il n'a pas eu d'autre choix que de continuer de suivre le sentier dangereux sur lequel il s'est engagé. Un grand débrouillard, un battant que rien ne peut arrêter, une motivation inébranlable qui brûle encore en lui avec la même ardeur qu'au premier jour. Fourré très rapidement dans des affaires illégales, de nouveaux partenaires, de nouvelles cibles. Le rouquin n'a pas tardé à se faire enrôler par les lost children, le pauvre gars paumé que personne ne prenait au sérieux avec sa gueule d'ange et sa tignasse de feu. Le même qui a su s'imposer et se faire entendre, à force de hurler sa haine à plein poumons. Laisser s'exprimer toute la colère qui bouillonne en lui depuis des années, contre laquelle il a tant lutté en silence.
10. Business is business. Aujourd'hui, il ne se borne à aucune limite dans ses activités quotidiennes. Son influence grandissante lui a permis de s'immiscer dans divers trafics, tout en se débarrassant facilement de la concurrence, écrasant tous les obstacles sur son chemin, grâce au simple nom des
lost children. Il se dévoue corps et âme à la cause du gang, lui l'orphelin dévasté, le pantin désarticulé qui ne croit plus en rien, si ce n'est au pouvoir infini qu'apporte le fric accumulé un peu plus chaque jour, à ne plus savoir quoi en faire. Parfois, il vit cette nouvelle richesse comme une forme d'emprisonnement de l'âme. Il ne se l'explique pas vraiment.
11. Raphaël est une bombe à retardement. Purement et simplement. Nul ne saurait l'arrêter une fois l'explosion amorcée. Pourtant d'un calme olympien au quotidien, aussi imperturbable qu'une statue de pierre, l'humour vache accompagne chacune de ses paroles sans jamais se prendre au sérieux. Ses expériences dramatiques lui ont forgé des nerfs d'acier, un mental impénétrable. Un sang-froid hors du commun. C'est quelqu'un qui n'aime pas la violence, Raph. Il déteste par-dessus tout faire couler le sang inutilement et s'efforce de défendre ce semblant de libre arbitre auquel il est très attaché, pour lequel il s'est tant battu. Différent des autres de par ses manières singulières, sa façon bien à lui de protéger proprement les intérêts du gang. Pourtant, personne ne le dit mais tout le monde le sait : ses mains sont tâchées de sang depuis longtemps, son arme a déjà arraché de nombreuses vies et répétera l'opération autant de fois que nécessaire. Il économise ses munitions, qu'il répond avec arrogance quand on le fait chier.
Et parfois, la bombe explose. Il a déjà tabassé à mort un pauvre type qui l'a pris pour un con pendant une transaction un peu spéciale, dangereuse de par la nature de la marchandise. Il l'a fait, devant les yeux stupéfait de cinq de ses camarades qui n'ont plus jamais remis son autorité en question.
12. La boule de noirceur qu'il incarne a des bons côtés, aussi. L'âme de l'enfant pur qu'il a été ne s'est jamais vraiment éteinte, enfouie quelque part au fond de ce foutoir de négativité et de corruption, la flamme brûle encore et subsiste malgré les tempêtes. L'innocence écorchée par ces années difficiles, tourmentée par les mensonges des adultes qui l'ont élevé, s'est mué en instinct protecteur envers tous ces autres gamins paumés qui lui ressemblent. Aucune marque d'affection, à part peut-être une tape amicale sur l'épaule de temps à autre, rien dans son comportement ne retranscrit cette petite faiblesse chez lui. Elle est pourtant bien réelle, authentique. Il le prouve à sa manière, par sa loyauté indéfectible et sa présence dans tous les moments difficiles.
13. Au premier regard, il n'a pas l'air trop amoché, le fils Prevost. Fort et bien portant, pourtant de nombreuses cicatrices sur son corps témoignent de la vie mouvementée qu'il a mené. Parfois des bagarres, parfois des élans de sadisme de la part de son tuteur, ou simplement la malchance, les aléas de la vie. Il ne s'amuse pas à exhiber ses blessures de guerre, sans pour autant chercher absolument à les cacher. Elles font partie intégrante de sa personne.
14. Des cris d'oiseau soudain, le grincement aigu insupportable de la minuscule cage inappropriée lui éclate les tympans. Il aurait bien enfoncé ce piaf braillard dans le mur, mais il en est incapable, il le sait pertinemment. C'est une rencontre inattendue, un perroquet blanc à crête jaune gueule devant chez lui depuis deux jours, un petit gars tombé du ciel, abandonné là par on ne sait quel salaud sans cœur. Il l'a adopté, lui a offert la chaleur d'un foyer et une cage plus grande, surtout. L'oiseau, le symbole de liberté lui rappelle qu'il a bien de la chance d'avoir réussi à sortir la tête de l'eau. Il l'a nommé René Descartes, le premier nom célèbre français qu'il a connu. Un nom bizarre pour un simple perroquet, mais il s'en fout.
15. Dans sa tête, la nuit chante, l'obscurité l'arrache régulièrement de son sommeil pour le pousser à quelques activités nocturnes avec d'autres membres du gang. Des parties de poker amicales autour d'un verre de whisky et d'un bon cigare. Ces moments de sérénité lui sont chers, il oublie tous ses tracas, fait le vide dans son esprit. Il trouve ça stimulant, le poker. En creusant dans sa mémoire, il parvient même à retrouver des bribes de souvenir de sa mère et de la divine mascarade qu'elle exécutait tous les soirs devant la table de poker. Entourée de vautours avides qui se bousculaient pour lui pomper son argent. La hantise de toute une vie. Elle était si fabuleuse, Agnès Prevost...
↝ VOTRE PSEUDO : j'ai pas vraiment de pseudo sur les forums ↝ PAYS : fr ↝ FRÉQUENCE DE VISITE : souvent car je bosse chez moi, mais ça m'empêche pas d'être lent ↝ OU AVEZ-VOUS CONNU LE FORUM ? : dans les abysses d'un top site ↝ T'AS PEUR DE QUOI ? : des poupées ↝ UN MOT A RAJOUTER : j'suis crevéééé ↝ CREDITS : ;)
(c) killing me softly / 2017